Le laque en Chine

Le laque en Chine

La matière


Motifs ruyi et xiangcao combinés.
Verseuse d’époque Jiajing
(1522-1566)

Le mot viendrait du latin au Moyen Age « lacca » dérivé du persan « lakh » peinture rouge, ou de l’hindi « lakh » désignant une laque utilisée en inde. En Asie, cette gomme vient du « Rhus verniciflua », (toxicodendron verniciflua) originaire du centre et du sud de la Chine et probablement du Japon. Cet arbre pousse à l’état sauvage. Son exploitation devrait remontée au 1er millénaire avant notre ère.

Deux types de laque
En Europe comme en Inde, « lakh » est une substance comme une gomme déposée sur des arbres par certaines espèces d’insectes, tel que le « tachardia lacca ». Cette substance récoltée sur l’arbre a été utilisée pour imiter les laques d’extrême orient sur des meubles japonisants ou sinisants depuis le 16 eme siècle.

En Asie pour récolter cette gomme, on entaille l’écorce et on recueille la sève visqueuse de couleur blanc gris. Cette couleur s’assombrie sous l’effet de la lumière et de l’air et devient brun foncé, et en même temps mais plus lentement, se déclenche un processus de durcissement.

Avant son utilisation, le laque est filtré. Il est lentement homogénéisé par échauffement et par brassage et finalement débarrassé de son excédent d’eau.

Le laque, déshydraté et épuré, contient suivant les qualités jusqu’à 80% de « urushiol » (acide de laque). Cette désignation chimique dérivant du mot japonais « urushi ». Le reste contient du caoutchouc et d’autres corps organiques en faible quantité.

Cette matière, ainsi pure, peut être utilisée directement comme substance transparente. Si l’on souhaite obtenir une matière colorée, il suffit d’ajouter des pigments spéciaux, le cinabre pour le rouge, la suie de pin ou de lampe pour le noir, et ultérieurement le sulfate de fer pour le noir, le sulfure d’arsenic pour le vert et le brun. Pour le blanc, mélange de laque et de carbonate de plomb (blanc de céruse), déjà utilisé avant notre ère sur des laques chinois, reste une couleur instable s’altérant pratiquement toujours en gris foncé sur les pièces anciennes.

Le laque asiatique requiert pour le séchage un degré d’humidité relativement élevé, environ 75 à 80% et une température entre 25° et 30° et ceci pendant plusieurs jours. Ainsi se déroulent des processus chimiques très complexes de polymérisation et d’oxydation demeurés jusqu’à ce jour en partie inexpliqués, phénomènes dans lesquels l’eau et l’oxygène jouent un rôle déterminant.

Durant la phase de séchage il faut que le laque soit appliqué en très fines couches successives sur le support matériel, de façon à ce que l’oxygène intervienne dans le processus de durcissement. Si la couche de laque est trop épaisse, il se constitue à la surface une pellicule imperméable à l’air qui ralenti la polymérisation et arrête son évolution.

Lorsque le laque est définitivement sec, il devient pratiquement inaltérable et inusable. Il constitue alors un revêtement parfait pour les objets usuels.
Appliqué en de nombreuses couches il devient matière à sculpture c’est-à-dire une forme d’expression artistique en soi.

Les supports sont : le bois, la vannerie, le papier marché, et quelquefois les textiles imprégnés et superposés en couches, pour les laques sèches « tuotai », le cuir, le métal et même la céramique.

Le bois même sec se dilate et se rétracte selon les variations de températures. On va alors recouvrir le support d’une couche de laque, puis on le recouvrera d’un tissu. Pour les périodes très anciennes, il s’agissait de chanvre, plus tard, c’est-à-dire au début des Ming on utilise des fibres de ramie enduites à leur tour de plusieurs couches de laque mélangé avec des débris d’argile très finement moulus ou avec des fibres de tissu, d’épaisseur variable.

C’est seulement après séchage et polissage que l’on procédera à l’application des couches de laque de surface alors coloré.

L’histoire du laque en Chine

Les objets en laque ont toujours eu une place importante dans l’art chinois.

Pendant très longtemps, les spécialistes de l’art chinois ont cru que les premiers objets laqués apparaissent à l’époque Shangyin (1766-1121 avant J.C), jusqu’au jour ou fut découvert, dans la province du Zhejiang, à coté d’objets néolithiques, un bol en bois laqué qui peut être daté de 4000 avant J.C.

La première période d’apogée des laques, fut pour les laques peintes de la période des Royaumes Combattants (475-221) avant J.C. Sous les Qin et sous les Han, seules de nouvelles formes apparurent.
En 106 après J.C à la suite d’un édit impérial, l’impératrice Deng, interdit les objets en laque à la Cour. Les artistes continuèrent mais pour un marché provincial exclusivement.

 

Sous la dynastie des Tang (618-906), apparurent les premières laques sculptées. La première pièce connue, sculptée est une pièce d’armure chinoise, découverte par Aurel Stein à Fort Miran, temple bouddhique construit au VIIIème siècle, à l’est du Turkestan, mais utilisé comme base militaire tibétaine. Cette armure de fabrication chinoise a certainement été prise par les tibétains au moment ou ils envahirent le Gansu au VIIIème siècle. Les armures laquées d’épaisses couches étaient particulièrement résistantes. Ce type de laque est appelé tixi, en chinois, peau de rhinocéros, dite guri, terme japonais employé par les occidentaux, ces dernières décennies, pour décrire toute sorte de laque sculpté obtenu à partir de couches de différentes couleurs appliquées sur un support.


Laque du type tixi

Dans les laques tixi on distingue généralement trois motifs différents : les motifs en forme de cœur, les motifs en forme de pommeau d’épée ruyi (la forme des anciens sabre chinois) ou les motifs xiangcao, rinceaux stylisés dits herbes odorantes. Le motif de cœur est probablement né avant celui de ruyi, ils ont été développé tous les deux pendant l’époque Song. Plus tard seul le décor de ruyi sera utilisé. Le motif xiangcao peut apparaître seul, ou combiné avec les deux autres motifs sur le côté ou le fond d’un objet.(voir la verseuse en haut)


Motif en forme de cœur.

Motif en forme de ruyi

Motif xiangcao dit d’herbes odorantes.
Pendant l’époque Yuan (1279-1368), les laques sculptés sont ou noir ou rouge. Dans les premières pièces des Yuan du XIIIe siècle, les rochers et troncs d’arbres sont généralement sculptés de façon très simple, les vagues sont sculptées de façon libre et les éléments du décor sont généralement séparés et laissant apparaître le fond, alors que dans les pièces tardives, les vagues sont des lignes en forme de S ou combinées avec des vagues irrégulières. Le fond n’est presque plus visible et le décor très compacte et plus en relief.
Vagues de l’époque Yuan (1279-1368)

Coupe sculptée de l’époque Yuan (1279-1368)
Les plus belles laques de l’époque Yuan, sont les boîtes et coupes sculptées de deux oiseaux volant sur un fond de fleurs, motif déjà développé sous les Song. Les fleurs sont plus réalistes que sous la dynastie des Ming.
A l’époque de l’empereur Hongwu (1368-1398), donc tout début Ming, les vagues sont très précises et formelles.
Sous son successeur Yongle (1403-1424), les laques sculptés pour la cour sont à leur apogée. Les boîtes et coupes sont décorées de personnages dans un paysage finement sculpté ou alors de motifs floraux très réalistes.

 


Boîte sculptée de l’époque Yongle (1403-1424)

Certaines pièces impériales portent la marque Da Ming Yongle Nian zhi finement gravé à l’aiguille.

Pendant l’époque suivante, sous Xuande, on prétend que les artistes n’arrivant pas à la qualité de leur prédécesseurs, et afin d’éviter d’être puni, achetaient des boîtes marqués Yongle aux eunuques du palais, et les marquaient d’une marque gravée et dorée de leur empereur sur la marque déjà existante de Yongle.


Marque finement incisé de l’empereur Yongle :
Da Ming Yongle nian zhi
Le revers des bases des pièces Yuan sont noirs, alors qu’ensuite, pendant les époques Hongwu, Yongle et début Xuande les fonds deviennent brun noir, pour redevenir fin Xuande jusqu’au milieu Jiajing à nouveau noirs. Les fonds rouges sont plutôt utilisés à la fin de l’époque Jiajing et pendant Longqing et Wanli. Généralement, les pièces de cette époque, comportant un fond noir, sont relaquées.
A la suite d’événements d’ordre politique, la production des laques, de même que pour celle de la céramique, a dû être diminué de 1436 à environ 1522, début de l’époque Jiajing. On a certainement produit des pièces en laques, mais elles n’étaient pas marquées, et elles étaient de style différent des pièces impériales. Une partie de ces pièces sont appelés « laques du Yunnan », car un certain type de laque a été fabriqué par des artistes du Yunnan pendant cette époque, ce sont des pièces constituées d’épaisses couches de laque et de sculpture dure, très souvent décoré des trois amis – pin, bambou et prunier – dont ils héritent également le nom.

Laque dit du Yunnan. XVIème siècle

Boîte en laque sculpté. Epoque Qianlong (1736-1795)
Sous le règne de l’empereur Jiajing, les laques rouges sculptés laissent la place aux laques sculptés polychromes dits ticai, couches de laques de couleurs différentes que l’on sculpte de façon à laisser un motif dans différentes épaisseurs donnant ainsi de la profondeur au dessin. La production de ce type de laque diminue sous le règne de Wanli et ses successeurs et reviendra en vogue sous le règne de l’empereur Qianlong qui en commanda un grand nombre pour son usage personnel.
Au XVIe siècle les laques peintes à l’or ou polychrome et de vannerie connaissent un essor au Sud de la Chine, les artistes étaient certainement influencés par les régions voisines. Ces pièces ont également été fabriquées dans les îles de Ryukyu.
Boîte en laque peinte et décor de vannerie. XVIIe siècle.
Les laques tianqi, laques polychromes incrustés, en combinaison avec les laques qiangjin, laques incrustés de fines feuilles d’or dans le décor incisé, connaissent un succès important à partir de la période Jiajing et tout au long de l’époque Wanli. Cette technique était déjà connue par les artistes des Trois Royaumes (220-265), un couvercle d’une boîte décoré en qiangjin a été retrouvée en 1984 dans la tombe de Zhu Ran qui est décédé en 249. Des laques de cette technique ont été fabriquées pendant toutes les dynasties suivantes. L’apogée de cette technique est au début du XVe siècle, dont témoigne les collections de laques qiangjin du Palace Museum à Beijing et à Taiwan. Comme pour les laques sculptés, la qualité se dégrade petit à petit. Malheureusement, la plupart des pièces de cette époque ont disparu au fil du temps, car il s’agissait pour la plupart d’objets usuels et mobiliers. Sous Jiajing et Wanli ces laques étaient très populaires, il existait à l’époque un certain goût pour le décor polychrome.
Plateau en laque tianqi et qiangjin. Epoque Qianlong (1736-1795)

Petite coupe en laque incrusté de nacre.
Les premières laques incrustés de nacre ont été trouvé dans des tombes des Zhou de l’Ouest (1100-771 av. J.C.), mais ont réellement été développé sous les Tang, pour connaître leur apogée sous les Song. Peu de pièces d’époque Ming ont été produites jusqu’à ce qu’on recommence à apprécier les petites pièces incrustés à la fin de l’époque Wanli jusqu’à l’époque Kangxi qui lui appréciaient personnellement ces pièces.
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