Le 11 juin 2025, Varenne Enchères proposait à la vente le deux œuvres provenant de la succession de Nguyễn Đệ, ancien directeur de Cabinet de l’Empereur Bảo Đại (1913-1997).
Nguyễn Đệ (1900-1992)

Né dans une famille de commerçants de Hanoi en 1900, Nguyễn Đệ fit ses études à l’Ecole des Hautes Etudes de Droit et d’Administration. Une fois diplômé, il commence une carrière dans l’administration en tant que Secrétaire général du Conseil de Protectorat. En 1932, le futur empereur Bảo Đại rentre au Viet Nam après avoir terminé ses études en France. Son investiture, perçue comme un événement de première importance, suscite de grands espoirs de modernisation. Dans cette perspective, Nguyễn Đệ, figure proche des milieux occidentaux, est nommé directeur de cabinet et délégué impérial chargé des domaines de la Couronne. Cependant, les ambitions réformatrices de l’empereur se heurtent aux résistances de l’administration coloniale et Nguyễn Đệ démissionne quelques années plus tard. En 1945, Bảo Đại abdique suite aux pressions du Viet Minh. En 1949, Bảo Đại, alors nommé chef d’Etat du Viet Nam, rappelle Nguyễn Đệ pour être son directeur de cabinet. Il devient en 1952 ministre d’Etat et Délégué Impérial pour les pays Montagnards du Nord et du Sud. Il s’exile en France après la bataille de Điện Biên Phủ et la signature des accords de Genève mettant fin à la présence française dans le Nord du Vietnam.

Lê Phổ (1907-2001) et Mai Trung Thứ (dit Mai Thứ) (1906-1980) font tous deux leurs études au sein de la première promotion de l’Ecole des Beaux-Arts d’Indochine (EBAI) à Hanoi, établissement fondé en 1925 par Victor Tardieu. L’EBAI a pour particularité d’associer l’étude de l’art occidental aux techniques extrême-orientales, dont la laque et la peinture sur soie, tout en les adaptant au goût moderne.
Les deux hommes ont en commun le fait d’avoir passé la majeure partie de leur carrière en France. Lê Phổ arrive pour la première fois en France en 1931 pour aider Victor Tardieu lors de l’Exposition coloniale au bois de Vincennes. Après être rentré au Vietnam en 1932, il retourne finalement en France en 1937 pour superviser la section indochinoise de l’Exposition Universelle. Il est alors rejoint par Mai Thứ. Tous deux s’engagent dans l’armée française pendant la Seconde guerre mondiale et s’installent en France après leur démobilisation : Mai Thứ à Mâcon, Lê Phổ à Nice. Là-bas, ils bénéficient du mécénat de familles fortunées qui leur commandent des portraits. C’est à cette période que les deux artistes abandonnent la peinture à l’huile pour se tourner vers la peinture sur soie selon une technique de soie marouflée sur carton mise au point à l’Ecole des Beaux-Arts d’Indochine en 1926. La soie, destinée en Extrême-Orient à être montée en rouleau, est alors rigidifiée à la manière d’une peinture occidentale. L’emploi de cette technique leur permet de séduire la clientèle française, sensible à cette synthèse d’une technique assimilée à l’Extrême-Orient et d’un style pictural moderne. Si Mai Thứ continue de produire selon cette technique durant toute sa carrière, Lê Phổ quant à lui retourne à la peinture à l’huile au début des années 1950.
MAI TRUNG THỨ (1906-1980)
Cette œuvre aux chrysanthèmes est un exemple de la synthèse effectuée par Mai Thứ entre Orient et Occident. Il cite à la fois le genre occidental de la nature morte, par ce bouquet de fleurs dans un vase posé sur une table, et celui des fleurs et oiseaux, l’un des genres traditionnels de la peinture extrême-orientale. La virtuosité de sa touche se révèle dans le feuillage des branches et les fleurs de chrysanthèmes rendus avec justesse.

Si l’art de Mai Thứ est souvent qualifié de traditionnel, il est en réalité le fruit d’un savant mélange entre une ligne rigoureuse, un univers thématique restreint, des compositions savamment agencées et de nombreuses références artistiques. Il en résulte des œuvres à l’esthétique intemporelle, au faux air d’évidence.
Le chrysanthème est une fleur précieuse en Extrême-Orient. Elle représente l’automne et fleurit à un moment où de nombreuses fleurs flétrissent sous les assauts du vent et de la neige. Elle est également un symbole de longévité grâce à ses propriétés en matière de santé, rapportées par de nombreuses légendes. On dit par exemple que boire du vin de chrysanthème le neuvième jour du neuvième mois lunaire permettrait de prolonger sa vie.
L’œuvre est parachevée par un encadrement en bois, orné de fleurs d’or et d’argent, réalisé directement par l’artiste. Mai Thứ avait coutume de réaliser des cadres sur-mesure pour ses œuvres, qu’il ornait d’un décor incisé. Une fois encore, le cadre est le résultat d’une synthèse, mêlant le bois doré occidental et les rinceaux de lotus extrême-orientaux. On retrouve un cadre similaire sur une œuvre datant également des années 1950 : Deux femmes assises buvant du thé, 1957 (collection particulière).
LÊ PHỔ (1907-2001)

Dans cette œuvre, la composition illustre l’influence de la vision des primitifs italiens sur l’artiste. En effet, fin 1931, Lê Phổ visite l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas. Ce voyage le marque durablement. Cette œuvre du début des années 1950 atteste de cette influence encore vivace. La baie en plein cintre est une citation directe de la peinture italienne tandis que le cadrage serré dérive des portraits flamands. La figure de la mère à l’enfant peut également être vue comme une référence aux madones italiennes. Le thème de la femme est prépondérant dans l’œuvre de Lê Phổ qui la représente la silhouette longue, gracile, l’ovale du visage finement dessiné. La touche est légère, effleurant simplement les personnages. Les vêtements sont comme posés sur les corps, fluides. L’artiste cherche moins à représenter la femme avec précision et acuité qu’à évoquer un sentiment de douceur, d’harmonie et de sérénité.